Egypte ancienneEgypte ancienne

3°)Le culte des morts

Le culte des morts est le prolongement social et spirituel de la sépulture égyptienne. Dès le décès commençait réellement le culte funéraire : il fallait d'abord procéder à l'embaumement, puis aux funérailles. La construction de la tombe était un soin que se réservait chaque Égyptien de son vivant, et il pouvait aussi faire exécuter sa statue funéraire, mais c'est en partie aux parents qu'incombait la charge de faire graver la stèle funéraire ; à eux revenait aussi le soin de refermer la tombe. Après le banquet qui suivait ces cérémonies, l'essentiel du culte consistait dans le service d'offrandes. Mais il ne s'arrêtait pas là. On adressait prières et invocations au Dieu Grand Osiris et à Anubis pour qu'ils accueillent le défunt et que celui-ci ait « ses liturgies en pains, gâteaux et liqueurs, à la fête d'Ouagaït, à la grande fête du dieu, à la procession du dieu Min, à la fête des offrandes, aux fêtes du mois et du demi-mois, et chaque jour » , ainsi que nous l'apprend un texte. Lors de certaines de ces fêtes, les membres de la famille venaient sur le tombeau apporter des offrandes et faire des fumigations, qui étaient souvent suivies d'un banquet funéraire. Ce banquet était précédé, en certaines occasions, du sacrifice d'un boeuf ou d'une antilope, dont une partie était consacrée au service d'offrandes et une autre partie au banquet funéraire. Les diverses localités connaissaient, par ailleurs, des coutumes particulières, telle celle d'Assiout où, le premier jour de l'année, on allumait des lampes dans les tombes, puis on se rendait dans les temples en chantant des hymnes en l'honneur des défunts.

Le culte funéraire semble avoir été inspiré par une véritable piété, à laquelle se joignait l'espoir d'être traité pareillement après la mort. Les Égyptiens, en effet, paraissent avoir peu redouté les morts qui, au contraire, ne pouvaient survivre que grâce aux vivants ; les violations de tombes et l'usurpation par des gens peu scrupuleux des tombes abandonnées révèlent même chez certains un véritable mépris pour les défunts anciens. Cependant, tous les Égyptiens n'ont pas été exempts de la crainte des morts. On possède des papyri qui contiennent des invocations contre les morts qui s'insinuent dans les corps des vivants pour leur causer des maladies. On voit aussi des fantômes tourmenter des gens qui ont été de proches parents ou terroriser des enfants. Certains défunts, trop oubliés et affamés, allaient jusqu'à boire le sang des vivants comme nos vampires. Plus rarement ces apparitions, comme celle du trésorier du roi Rêhotep qui était apparu à un prophète d' Amon, se contentaient de dialoguer avec le vivant, tout en se plaignant d'être abandonné, ce qui était, en général, cause de la mauvaise humeur des défunts et de leur retour intempestif parmi les vivants.

Cette croyance en la survie du mort, qui impliquait l'ensevelissement avec la momie non seulement de nourriture réelle ou figurée, mais d'objets souvent précieux destinés à lui servir dans l'au-delà, a eu pour conséquence négative la violation des sépultures qui, contrairement à ce qu'on a pu penser, n'a pas commencé au siècle dernier mais dès la haute Antiquité égyptienne. Il est bien naturel que les biens qu'on ensevelissait avec le mort aient, dès l'origine, attiré la cupidité des vivants. Afin de se protéger des voleurs, les rois de l'Ancien Empire, qui ensevelissaient leurs trésors au fond des pyran-ides, fermaient les chambres funéraires à l'aide de formidables blocs de granit. Dans les hypogées, les Égyptiens essayèrent de protéger leurs tombes par tous les moyens possibles : lourdes dalles de fermeture des portes, sépulture cachée, gardiens de nécropoles et enfin malédictions contre les violateurs. Dès l'Ancien Empire on trouve des inscriptions où le mort en appelle au jugement du Dieu Grand (assimilé à Osiris) et se propose de se venger luimême sous la forme d'un oiseau de proie contre tout homme qui voudrait s'approprier sa tombe, qui détériorerait la sépulture, qui entrerait avec de mauvaises intentions ou sans se purifier, enfin qui effacerait le nom du défunt. Les souhaits contre le violateur sont des plus variés : l'intervention d'animaux dangereux est requise, ou encore on le menace dans sa postérité, dans ses biens ; son nom sera détruit, son culte funéraire sera négligé, les offrandes ne sortiront pas au son de sa voix, il ne sera pas enseveli dans la montagne. Pour tout crime contre sa momie, Senmout, architecte et ministre de la reine Hatshepsout, réclame comme châtiment l'exclusion des fonctions publiques, une mort prématurée, la privation de sépulture ; cette inscription est d'autant plus intéressante qu'elle révèle que les Égyptiens savaient à quoi s'en tenir quant aux violateurs. Sans doute ces malédictions sont liées à la croyance en la valeur magique des paroles et des écrits et à leur efficacité réelle ; il semble cependant que bien des Égyptiens ne leur aient guère attaché d'importance quand on constate combien peu de tombes ont échappé aux voleurs. Car aucune de ces précautions n'a pu défendre de l'avidité des voleurs les trésors qui étaient enfouis, et toutes les tombes royales, sans exception, ont été violées. Au Nouvel Empire, on pensait pouvoir mieux surveiller les sépultures en les réunissant dans la vallée des Rois, mais cette précaution se révéla tout aussi vaine. Naturellement, c'est surtout pendant les périodes où le pouvoir royal s'affaiblissait que le pillage des tombes sévissait avec le plus de violence et, après la période anarchique créée par la faiblesse des derniers Ramsès, le premier travail des rois-prêtres fut de restaurer les nécropoles pillées et de réunir dans des cachettes les momies royales dépouillées.

Les voleurs étaient sans doute des gens de tous les milieux, spécialisés dans cette sorte de profession, mais c'est surtout parmi les ouvriers travaillant aux nécropoles qu'il faut les chercher ; ces gens étaient rompus à la technique du forage et c'étaient eux les mieux placés pour pénétrer dans les tombes qu'ils avaient souvent euxmêmes construites. Le conte de Rhampsinite qu'Hérodote a recueilli pour nous, et dans lequel on voit l'architecte d'une pyramide prévoir lui-même un passage secret pour piller à son aise les trésors du pharaon, est significatif. Mais les voleurs découverts ne terminaient pas aussi bien que le héros de notre conte. Lorsqu'ils étaient pris, on leur intentait un procès dans les règles, avec une cour dont on mentionne les membres avec leurs fonctions, et dont le président était souvent le vizir ou le gouverneur de la ville.

Par un papyrus de la XXe dynastie, nous pouvons voir que les pilleurs de tombes n'éprouvaient aucune crainte des morts ni d'une quelconque malédiction. Ils avouent avoir pénétré dans la tombe, ouvert les couvercles des sarcophages, « trouvé la momie auguste du roi ». « Il y avait, poursuit l'accusé, un grand nombre d'amulettes et d'ornements d'or sur sa poitrine. Sur son visage était un masque d'or. L'auguste momie de ce roi était toute recouverte d'or.

Cette enveloppe était forgée avec de l'or et de l'argent, à l'intérieur et à l'extérieur, et incrustée avec des pierres rares et splendides. Nous avons arraché l'or que nous avons trouvé sur l'auguste momie de ce dieu, et les amulettes et les ornements qui étaient sur sa poitrine, et nous avons laissé en place la gaine. Nous avons pareillement trouvé l'épouse royale et l'avons pareillement dépouillée de tout ce que nous avons trouvé sur elle. Nous avons mis le feu à leurs gaines. Nous avons dérobé le mobilier que nous avons trouvé avec eux, des vases d'or, d'argent et de bronze. Et l'or que nous avons trouvé sur ces deux dieux, sur leurs momies, et les amulettes, les ornements, nous les avons partagés en huit parts.

Les punitions de ces crimes pouvaient être la mort, l'ablation du nez et des oreilles, ou simplement la bastonnade. Cependant, ni la crainte des pires châtiments ni celle des malédictions des morts ne purent protéger de la rapacité destructrice des voleurs les fabuleux trésors qui reposaient dans le sol de l'Égypte.

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Copyright © Copyright © Guy Rachet. Le livre des morts des anciens Egyptiens. Introduction, traduction inédite et commentaires. Edition du Rocher